LA VISITATION, LE QUARTIER RÉSERVÉ DE TOULON

page 1 Chicago, le quartier mytique de Toulon      page 2 Le déclin    page 3 Chicago raconté par ceux qui l'ont vécu    Page 4 Le quartier réservé

Il ne faut pas confondre Chicago et le quartier réservé de Toulon, les 2 endroits sont historiquement très différents. Chicago est une "création" relativement récente puisqu'apparu après le fin de la 2ème guerre mondiale. Le quartier de la Visitation (qu'on appelait plus récemment ilôt de la Visitation lorsqu'il était en complète reconstuction à la fin des années 80 était intégré au cœur du vieux Besagne, peut-être le quartier le plus populaire de Toulon (Besagne est le surnom d'un quartier populaire de Toulon, autrefois peuplé par les travailleurs italiens (de l'italien : bisogna, travail et bisognoso, besogneux).

Lorsqu'il y avait des escales des unités de l'US Navy, pas question pour leurs boys de s'égayer n'importe où dans les rues de la basse ville..

La Navy est très strict avec ses "boys" et au moindre incident, elle décrète le périmètre "Off limits", interdisant pratiquement son accès.

André Maurel, un "vieux Toulonnais comme il se qualifie lui-même", se souvient que l'US Army peignit sur quelques maisons du quartier en cause, un rectangle jaune:  de mémoire ce rectangle devait mesurer environ 0,60 m par 0,40 m, où se trouvait inscrit au pochoir en lettres noires "OFF LIMITS" ( voir aussi la page sur Chicago)

 

La prostitution était déjà notoire à la fin du 19ème siècle dans le quartier de la Visitation, le déclin vint après la fin de la 2ème guerre mondiale. "Dans les années 50, La Visitation, quartier réservé, connu pour ses maisons de tolérance chères à Francis Carco, est en déclin suite à l'adoption de la loi Marthe Richard en 1946 (Gabriel Jauffret)"

Voici ce qu'on pouvait lire sur un article trouvé sur sur le site ( qui ne fonctionne plus) : http://www.transenprovence.org/ lui même tiré de Almanach pittoresque et pratique du Var 1994 - Maryse Pèbre et Monique Rieupouilh :

"Fanées, rouleuses, dégrafées, bitumineuses, hirondelles du soir, chauves-souris de caboulot, phalènes des trottoirs, poulettes de nuit, trottineuses, minaudières nocturnes, belles de nuit, pécheresses, oiseaux nocturnes, évaporées, violoneuses, tapageuses, oiseaux de nuit..."  En cette fin de XIXe siècle, les journalistes toulonnais du journal Le petit Var débordaient d'imagination pour qualifier les dames exerçant dans le quartier réservé de la ville. Lorsque des filles étaient arrêtées, on pouvait lire aussi : "l'une des filles demeurait au quartier de Bon-Rencontre, à un endroit dit les Colombes. Elle aimait trop le pigeon et cela ne lui a pas porté bonheur !"

La presse parlait d'elles presque quotidiennement car elles faisaient chaque nuit l'objet de procès-verbaux de la police. Le journal les rappelait à l'ordre en précisant dans ses colonnes l'article 15 du règlement des moeurs de la ville de Toulon que nombre de dames se plaisaient à ignorer : "fille galantes et demoiselles légères, l'article 15 vous interdit de vous promener en compagnie de marins et de militaires dans la ville, de circuler coiffées en cheveux et de vous promener, même seules, après dix heures du soir".

Ci-contre Un texte de Claude Farrère extrait de son roman, "Les petites alliées" paru en 1910; le roman se passe à Toulon dans un univers de jeunes officiers de marine qui se divertissent avec des demi-mondaines.La scène se passe dans le quartier réservé.

Qui était la "fameuse" Marthe Richard ?

Une ancienne prostituée, pseudo héroïne et fausse espionne au service de la France, elle fut élue conseillère dans le 4ème arrondissement de Paris sur la liste de la Résistance Unifiée (proche du MRP) et déposa le 13 décembre 1945 devant le conseil municipal un projet pour la fermeture des maisons closes. Sa proposition fut votée et le préfet Charles Luizet décida de fermer les maisons de la Seine dans les 3 mois. Encouragée, Marthe Richard, bien que vivant avec un proxénète, commença une campagne de presse pour le vote d'une loi généralisant ces mesures.

Le 9 avril 1946, le député Marcel Roclore présenta le rapport de la Commission de la famille, de la population et de la santé publique, et conclut à la nécessité de la fermeture. Le député Pierre Dominjon déposa une proposition de loi dans ce sens.

Votée le 13 avril 1946, le fichier national de la prostitution fut détruit et environs 1 400 établissements furent fermés, dont 180 à Paris : le Chabanais (2e arrondissement, connu depuis 1820), le Sphinx, la Rue des Moulins, le One Two Two mais aussi les sinistres maisons d’abattage comme le Fourcy et le Charbo... Beaucoup de tenanciers de maisons closes se reconvertirent en propriétaires d'hôtels de passe. La prostitution est alors une activité libre ; seules sont interdites son organisation et son exploitation - le proxénétisme - et ses manifestations visibles. Ceci valut à Marthe Richard le pseudonyme humoristique de "Veuve qui Clot", en référence au champagne (La  Veuve Clicot)

 

Les limites géographiques du quartier réservé :  

 

Le périmètre du quartier réservé figure en rose sur cette carte aimablement dressée par Robert Cohen ( pour mémoire, en vert, il s'agit des limites de Chicago qui est comme on le constate relativement éloigné de la zone qui nous intéresse. ( cliquer sur la carte détaillée pour l'agrandir) : grosso modo, Les limites du quartier réservé s'appuient sur :

A l'ouest, le cours Lafayette, la place du Pavé d'amour et et le début de la rue de Lorgues, au sud, la rue Vincent Courdouan, à l'est, la rue St-Bernard et au nord, la rue des Remparts et le coin de la place Armand Vallée. Vincent Courdouan, le grand peintre toulonnais naquit et mourut dans ce quartier dont ne subsiste aujourd'hui absolument rien.

A l'intérieur de ce périmètre, on trouve les rues de la Visitation ( qui a donné le nom à ce quartier) et la rue Mairaud, la rue Gavageau, la traverse Lirette et la rue Lirette, la rue Maurique, la rue de la Chapellerie et la rue Maure et enfin la traverse de Port-Saïd. Enfin un nom exotique !

Ci-contre une vieille carte postale probablement du tout début du 20ème siècle au titre évocateur : Toulon exentrique, La rue Gavageau  (sic ! il eut fallu en bon français, écrire excentrique avec un "c" après le " x") cliquer pour agrandir. Très pittoresque, n'est-ce-pas ? Cette rue n'existe plus. Quelques travailleuses attendent sur le trottoir ( l'une d'elles, tient un broc à la main ( les moyens sanitaires de l'époque étaient réduits)

Elle figure dans le remarquable petit ouvrage de Jean-Charles Meyer et Raymond Bernardi : "Toulon Les minots" comportant des cartes postales anciennes); un passage consacré au quartier réservé, résume bien notre sujet :

"Toulon, ville de garnison, peuplée de marins et de biffins, se devait d'offrir à ces militaires parfois en goguette, quelques lieux de distractions. N'en déplaise à Marthe Richard et aux âmes bien pensantes, le plus vieux métier du monde était aussi exercé dans notre bonne ville. Un quartier situé entre le cours Lafayette, le boulevard Dutasta, la place Noël Blache et la rue Pavé d'Amour, la bien nommée, fut par la force des habitudes, "réservé" à ces amours clandestines payantes....Ces établissements aux noms évocateurs accueillaient les militaires et qui sait, peut-être aussi les Toulonnais? Le Flamboyant, la Maison blanche, le Panier fleuri, le Pavé d'Amour...la dernière maison de tolérance ( le mot est magnifique...)  fut la Maison blanche qui dut fermer vers les années 50. C'en était fini de l'amour tarifé? Pas du tout mais cela marqua un déplacement des moeurs vers les rues situées au plus près du port. Les marins avaient ainsi moins de distance à franchir. Passé la porte principale de l'arsenal, ils se retrouvaient au centre des loisirs incertains...D'aucuns appelaient ce quartier, Chicago..Je n'aime pas ce nom évocateur de mafia et de non-droit, restons provençaux que diable! "

Un souvenir de Jacques Visconti :

"Le quartier réservé, j'étais bien petit (10/11 ans) lorsqu'on descendait du Lycée (Peiresc) pour aller prendre le tramway ligne 6 afin de nous rendre en aprés-midi de "plein air" (terme officiel de l'époque) au stade de la Casa d'Italia aux Routes, on passait au bas de la cité administrative dans la rue derrière laquelle les trams manoeuvraient. Là se trouvait la "Maison Blanche, un des derniers bordels de Toulon et nous regardions tous en rigolant bêtement.C'était donc en 54/55/56,mais il me semble bien qu'il était 'clos' purement et simplement.

Ci-contre le Chapeau rouge au tout début du 20ème siècle,  il y'a foule sur le trottoir ! depuis quelques années, un passage du Chapeau Rouge a été créé, la ville de Toulon honore ainsi ses anciens bordels!

(cliquer pour agrandir)

Le quartier réservé raconté par Robert Cohen : "A la prochaine, matelot !".

Quartier Réservé, avec un grand Q, naturellement! C'était un minuscule petit agglomérat de trés anciennes ruelles à pavés noirs et bombés, ça fleurait le Moyen Age, quasiment, avec des maison minuscules et trés hautes, qui s'escaladaient en s'étayant mutuellement. Portes basses, escaliers raides.
Il était relativement loin du quartier de Chicago, la basse ville turbulente, avec ses bars à matelots. Le quartier réservé, on n'y venait que pour une seule chose, qu'on soit marin, marsouin, civil bourgeois, puceau boutonneux ou ecclésiastique en civil.
Il "s'étendait" si l'on peut dire, entre la rue des Remparts et la rue Vincent Courdouan, limité à l'Ouest par le Cours La Fayette, et à l'Est par la rue Saint-Bernard.
Ses ruelles s'appelaient "place pavé d'amour", "traverse Lirette", "rue de la Visitation", "rue Maurique", "Rue de la Chapellerie", il y avait même une étonnante Rue Port Saïd" prémonitoire, en 1956, des évènements de l'année.

Les maisons de tolérance, qui devaient dater du début du siècle, n'avaient pas été fermées en 1947, comme toutes les autres en France. Une exception avait été consentie à Toulon, en tant que ville de garnison.
Ca continuait comme par le passé, sauf que les dames prostituées ne pouvaient plus bronzer au soleil, sur le trottoir de la rue des Remparts, mais devaient rester bouclées, derrière portes épaisses et judas inquisiteur, pour ne pas "offenser les bonnes moeurs".

Sur la rue des Remparts, il y avait l'immémoriale "Maison Blanche", de grandes dimensions et de personnel foisonnant. Presque un Eros Center. Mais les amateurs avertis préféraient les petites boîtes plus artisanales, discrètes, où les liens de sympathie, mais oui, pouvaient se créer: "Le Chapeau Rouge", "le Vert Galant", "le Sully", "le Crystal", et bien d'autres dont j'ai oublié le nom.

Ces boîtes avaient leur règle, leurs heures de pointes, leurs jours de crise, le samedi soir, où les jours de retour de l'escadre. Des centaines de matelots en mal d'amour venaient tambouriner à la
porte, pressés de s'offrir mille balles de bonheur. Les agressifs, les ivrognes, étaient refoulés. La mère maquerelle était en principe inflexible, mais elle avait ses chouchous. Les amateurs la courtisaient, lui apportaient fleurs, bonbons, gateaux. Elle remerciait avec une plus grande courtoisie, et plus d'indulgence si le consommateur s'attardait un peu trop en compagnie de la donzelle de son choix.

Les filles, c'étaient plutôt des femmes. Les jouvencelles jeunes et jolies étaient rares, peu courantes, dans cette prostitution bas de gamme, aussi utilitaire que militaire. Les rares jeunettes étaient moches, mieux valait se régaler avec une "vraie femme", qui avait été belle, et le demeurait encore, si l'éclairage était tamisé.

Le matelot qui entrait, seul ou avec des potes, devait obligatoirement consommer au bar. Autant pour la recette, que pour être discrètement observé, pendant ce stage d'évaluation. S'il était poli, sympa, une fille venait s'asseoir à ses côtés. N'exigeait pas de boire un verre. On n'était pas au cabaret, les filles n'étaient pas des entraîneuses. Le tarif des consos, d'ailleurs, était celui d'un bistrot normal. Le matelot offrait une conso ou non. Le but du dialogue était tout autre "Tu montes?" "Je te plais, ou tu préfères une copine?".
Le mataf faisait son choix. Le client était roi.

S'il avait ses habitudes, si Unetelle était "en main", il n'avait qu'à attendre...

D'autres fois, Unetelle était inexplicablement absente. Le matelot s'étonnait posait la question de trop "Où est elle?" et la mère maquerelle, doucereuse et ferme mettait les choses au point "Ca te regarde pas, mon chéri".

Vacances, maladie, ou élimination discrète, le client n'avait pas à savoir ce qu'il était advenu de Unetelle. Parfois elle revenait. Aussi muette sur son absence que tout son entourage.

Faut bien admettre, le bordel, ce n'était agréable que pour les hommes. Pour les femmes, c'était un esclavage.

Quand le matelot avait choisi sa partenaire, le processus s'accélérait. Il montait à l'étage, par un escalier tapissé de moquette rouge, le nez suivant les déhanchements de la fille, qui montait devant lui. Jamais de tenues légères, comme dans les bordels belle époque. Dans les années cinquante, les filles étaient correctement vêtues, comme pour aller au bal, robes légères, faciles à déboutonner, et même de la lingerie, bas et
porte jarretelle. On en donnait au client pour son argent. La seule différence avec les "femmes honnêtes", c'est que ces travailleuses du sexe enfilaient leur culotte PAR DESSUS le porte jarretelle, étant appelées à l'enlever souvent.

Dans la chambre, le tout premier mouvement du matelot, c'était de payer. Avant toute chose.
"Déshabille toi, mon chéri". ....
A partir ce paragraphe, les passages jugés un peu trop "coquins ou trop hard" pour mon site tous publics, ont été volontairement supprimés...pardon à l'auteur...Dame Anastasie a été obligée d'avoir recours à ses gros ciseaux.

,...la fille était déjà rhabillée, et claquait joyeusement la porte "A la prochaine, matelot".

Bien souvent, l'amant dégrisé, quand il redescendait les escaliers, croisait sa partenaire d'un moment, qui montait déjà, avec le client suivant.
Il pouvait, à la rigueur, re-consommer au bar, rester dans cette ambiance un peu crapuleuse, dans la fumée des cigarettes, les parfums bon marché. La patronne se doutait bien qu'il ne remonterait pas. On le dirigeait gentiment vers la sortie.

Voilà, vous savez tout. C'était ça, le quartier réservé.

Maintenant, tout a été rasé, il ne reste plus que du béton administratif, à la place. (Robert Cohen)

  

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Sources et remerciements :

Jacques Visconti, Robert Cohen ( †) -  Gabriel Jauffret, ancien journaliste du Méridional et de Var-Matin, chroniqueur de marine et membre des Amis du vieux Toulon, interrogé par Alice Tillier  dossier paru dans L'Express : "Spécial  Toulon, il y'a 50 ans" du 07/08/2003, André Maurel, Jean-Charles Meyer et Raymond Bernardi : "Toulon Les minots" aux éditions Alan Sutton

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