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1659-1664 : Les procès de Lacuzon    page 7

Toute cette histoire est tirée de l'ouvrage de  Robert Fonville.

1659, Lacuzon en prison :

Mauvaise année pour Lacuzon qui doit affronter un fort désagréable procès. Vers le mois de mars 1659, le Parlement cita Lacuzon à comparaître à Dole, aussitôt arrivé, le capitaine fut incarcéré. Sa vaisselle et ses meubles furent mis sous séquestre, il fut déchu provisoirement de son commandement.

Pendant ce temps-là, le procureur général Dagay mena discrètement une enquête sur place et s'installa à Gevingey d'où étaient parties les plaintes les plus virulentes ( et comme par hasard où se trouvait le château du puissant Marc de Montaigu, seigneur de Boutavant) ce dernier, ennemi juré de Lacuzon, poussait l'accusation. Dagay était, on en est à peu près sûr, résolument du côté de Boutavant.

Dagay interrogea de nombreux témoins hélas tous du parti de Marc de Boutavant ( il fut prouvé plus tard que Dagay rudoyait ceux qui déposaient en faveur de Lacuzon et que Boutavant soudoyait les témoins)

Denis Maistrot, vigneron, jura sur la foi du serment que le procureur l'avait menacé, puis renvoyé sans prendre note de sa déposition car son témoignage était entièrement à la décharge de Lacuzon. Tous les témoins avaient obligation de passer avant leur déposition chez le seigneur de Boutavant qui leur donnait ses instructions assorties de promesses de récompense ou de menaces pour les récalcitrants.

Que reprochait-on à Lacuzon ?

D'avoir couru les femmes, d'avoir brutalisé certains paysans, d'avoir exigé des contributions ou des travaux qui ne lui étaient pas dus, d'avoir blasphémé le nom de Dieu. En tout 44 chefs d'accusation furent consignés dans l'Intendit du procureur général.

23 numéros concernent déjà des relations qu'il aurait eues avec différentes femmes avec qui il aurait eu également quelques enfants illégitimes, citons :

-Christine Humbert de Lons-le-Saunier avec qui Lacuzon aurait entretenu pendant 4 ans une relation suivie et qui a eu un enfant de lui, une nommée Clauda servante de son granger de Presle, une autre appelée Philiberte, belle-fille de Claude Vinier. La dite Clauda aurait eu un enfant de ses oeuvres.

Vers 1654, il aurait eu des relations avec sa propre cousine Claudine Prost mariée à un nommé Vaucher.

-Idem avec une nommée Barbe Clerc femme de Pierre Métraux le vieux - Idem pour Jacqueline Villet, femme de Jean Bouvier dit le Marquis : "étant icelle allée au château, Lacuzon lui aurait mis la main sur le sein, lui disant : "Commère, n'y-a-t-il moyen ?", l'embrassant et mettant la main sous sa cotte, avec offres d'argent, graines et autres, pour lui induire à lui permettre la courtoisie."

Admirons au passage la délicieuse tournure poétique et imagée des expressions de l'époque : faire la courtoisie, c'était parfaitement explicite tout en étant ni  vulgaire ni choquant. On est bien loin des expressions très directes de notre époque, aujourd'hui le juge aurait demandé : "Reconnaissez-vous avoir eu des relations sexuelles avec Mme Barbe Clerc, ici présente ?? "

D'autres accusations visaient des brutalités : Lacuzon aurait plusieurs fois fait mettre des hommes dans un puits et les aurait laissés séjourner dans l'eau glacée.

"Le 21 décembre 1658, il aurait fait appréhender Antoine Boissard, échevin de St-Laurent, fait descendre dans un puits rempli de bois et laissé une nuit dans le froid. Le 8 janvier il aurait exigé d'être présent à la remise des comptes des échevins de St-Laurent et d'être salué respectueusement par tous les habitants; il aurait alors insulté les échevins et donné un grand coup de poing sur le nez de Jean Bouvier..."

Quelques accusations étaient beaucoup plus graves : la rumeur publique accusa Lacuzon d'avoir fait mettre le feu à la maison de la mère de Christine Humbert, une de ses maîtresses; dans l'incendie, la soeur de Christine, Jeanne,  serait morte des suites de ses brûlures 3 jours après.

En 1643, il aurait pris 3 femmes de Chevroz ( Chevreaux) et les aurait jetées par les fenêtres du château.

En 1644, il aurait tué à coups de pistolets, deux habitants de Bonnaud, Claude Carré et Perrenot Riboudet, sans compter les diverses brutalités telles que :" coup de fusil chargé de dragées" à l'encontre de différents habitants des villages voisins.

Il faut remarquer qu'un certain nombre de ces soi-disant méfaits, étant antérieurs à 1646, ne pouvaient être reprochés à Lacuzon, puisqu'ils avaient été amnistiés par la lettre de rémission générale du Roi d'Espagne, datée du 27 juillet 1646.

Lacuzon traître ?

Enfin l'accusation la plus infamante de toutes, était d'avoir reçu vers 1653, au château de St-Laurent-la-Roche, un capitaine Français, qui lui aurait fait des propositions pour rendre son château à l'ennemi, propositions que Lacuzon aurait acceptées avec empressement. Il convient de faire immédiatement un sort à cette partie de l'intendit : en 1653, la France et la Franche-Comté avaient depuis longtemps conclu une trêve et d'ailleurs jamais personne ne vit une colonne française venir prendre possession du château que son gouverneur avait soit-disant vendu à l'ennemi. Ce n'était là manifestement qu'une calomnie du seigneur de Boutavant, qui en matière de trahison était un connaisseur averti.

Parmi les accusations, que faut-il retenir ? Il est évident que Lacuzon n'était pas un enfant de coeur, c'était un paillard qui avait un goût immodéré pour les femmes, il était encore bien vert et vigoureux même à la fin de sa vie puisqu'il avait fait un enfant  (François Prost), à sa gouvernante Denise Gaubey alors qu'il avait déjà l'âge respectable ( surtout pour cette époque) de 67 ans.

 Il mettait général les formes avec les femmes qu'il souhaitait "courtiser": "Commère, n'y a t il pas moyen ?" Et même lorsqu'il avait été un peu trop brutalement persuasif, il ne manquait pas de renvoyer sa victime, le matin "après l'avoir fait déjeuner" S'il sentait que la vertu qu'il attaquait était trop farouche, il n'insistait pas trop.

Lacuzon fut bientôt remis en liberté sur parole, relâché par la Cour, afin de lui permettre d'organiser sa défense et de rechercher toutes les preuves de son innocence. Il était difficile en effet pour la Cour de laisser en prison un héros populaire tel que Lacuzon "célèbre soutien des armées du Roi, et le plus dévoué des fils de la Patrie"; il avait de nombreux amis et de très influents soutiens au Parlement et dans le clergé.  Aussitôt libéré, le capitaine vint s'installer à Montaigu.

Il écrivit au baron de Scey pour récupérer le commandement du château de St-Laurent mais celui-ci, le 28 juin 1659 lui répondit que c'était impossible tant que Lacuzon n'aurait pas été jugé et blanchi des charges qui l'accusaient. Lacuzon demanda alors au Parlement une contre-enquête. Jean-Jacques Bonvalot, de l'Étoile ( futur président du Parlement), fut chargé de cette mission.

Il passa 9 jours à Lons du 25 août au 4 septembre 1659. 68 témoins individuels et les représentants de 20 communautés  ( Lons, Montmorot, Conliège, Perrigny, ...)  furent entendus, soit près de 250 personnes. "Il s'éleva de cette masse de déclarations un concert d'hommages rendus au beau caractère de Lacuzon, à sa vaillance, à son zèle pour la bonne cause, à sa générosité, à sa modération, à sa douceur même, et tout le monde fut unanime à le proclamer après Dieu, le sauveur de la Patrie."

"La contre-enquête montre que Lacuzon avait les défauts des hommes de guerre de son temps. Mais si l'on se reporte aux moeurs du 17ème siècle, bien plus rudes que les nôtres, on est obligé de conclure que le capitaine comtois ne dépassait guère les limites permises et qu'il se distinguait même par une certaine modération. En tous cas, il faisait preuve des qualités éminentes d'un patriote convaincu et tout dévoué au salut de sa province. On verra qu'à la fin de sa vie, il donnera même une marque éclatante de son amour de la Patrie, lorsqu'il partira pour l'exil, abandonnant tous ses biens, préférant mourir pauvre loin de son pays natal, plutôt que de se rallier à Louis XIV, comme le firent tant d'autres."

Dans l'ensemble, les principaux chefs d'accusation de l'intendit du procureur Dagay furent contredits par les témoins de la contre-enquête. En voici quelques-uns:

 Lacuzon avait été accusé d'avoir fait un enfant à sa servante Clauda; 2 témoins affirmèrent avoir assisté à la scène où cette fille avait remis son enfant au véritable père, Claude Perret qui ne la désavoua pas mais au contraire dit qu'il était bien le sien et qu'il l'acceptait.

Il aurait "fait la courtoisie" à ses 2 cousines Marguerite et Claudine Prost ? Le jour où il aurait serré de près la première, la maison était pleine de monde et jamais il ne s'était trouvé seul avec elle. Quant à la seconde, elle n'était même pas allée à Augissey, à la date où Lacuzon avait été accusé d'avoir été vu avec elle.

Il aurait attiré au château de St-Laurent, Marthe Villey et il l'aurait violée ? Voici une description de la fille en question, montrant qu'elle était vraiment d'un aspect répugnant :" C'est une fille toute innocente et esbâtée ( dans le sens de simplette ) et à qui l'on fait dire tout ce que l'on veut, soit à son profit, soit à son préjudice...ce qui fait dire à Lacuzon que l'on ne doit guère tenir compte de son témoignage. " elle a icelle, le plus souvent la poitrine toute découverte, galeuse d'un doigt de hauteur et laquelle fait horreur à ceux qui la voient" et un second témoin dit la même chose en rajoutant qu'il" ne croit pas que le déposant ( Lacuzon) puisse être brutal au point d'avoir pensé à elle."

On n'imagine vraiment pas Lacuzon qui pouvait avoir autant de jolies femmes qu'il voulait, violer une fille aussi laide, sale et repoussante. Marthe Villey n'avait certainement pas perdu son innocence au château de St-Laurent.

Lacuzon aurait essayé en vain, d'abuser de Charlotte Rouge ? Plusieurs témoins affirmèrent que son père Claude Rouge avait emmené sa fille chez Marc de Montaigu, seigneur de Boutavant et qu'il avait été payé pour lui faire faire un faux témoignage.

Le procureur Dagay avait retenu le fait que Lacuzon en 1644, ait tué en les jetant par les fenêtres du château de St-Laurent, 3 femmes du village de Chevreaux. Le curé de ce village, un notaire, ancien procureur d'office de la baronnie de Chevreau et 7 autres témoins affirmèrent qu'aucune femme de ce village n'avait disparu.

Lacuzon avait tué 2 paysans et une femme de Courlaoux ? Oui, c'était vrai, mais c'était en temps de guerre et il s'agissait d'espions.

Les témoins non seulement réfutèrent la majorité des accusations mais ils affirmèrent leur gratitude et celles de tous leurs compatriotes envers le libérateur de leur territoire. Un énorme faisceau de témoignages attestait que le capitaine Lacuzon avait bravement fait son devoir, qu'il avait été le défenseur du bailliage d'Aval et que c'était à lui seul que la région devait d'avoir recouvré sa tranquillité. Pas un témoin ne fit une critique à son égard.

Le 22 novembre 1659, le Parlement rendait l'arrêt suivant :

" Vu les informations du procureur général, recours et ampliations d'icelles, avec les réponses du défendeur, les écritures de défense, décharge, contredit et reproche, et preuves faites sur icelles, ensemble les autres pièces respectivement exhibées par inventaire, la Cour renvoie le défendeur quitte et absous des faits ci-dessus rapportés en l'intendit du procureur général, mandant à ..etc..etc " Sans doute, il répugna au Parlement de frapper un patriote, un des meilleurs sujets du roi.

Cette absolution était attendue par la population et elle fut accueillie avec joie. "S'il ne sortit pas de l'enquête blanc comme neige, écrivait M. Perraud, notamment sur le chapitre des moeurs, il réussit du moins à prouver que ses"malveillants" avaient agi avec passion, qu'à la médisance ils avaient joint la calomnie, surtout que ses torts ne devaient pas faire oublier ses services."

Absous par le Roi d'Espagne, absous par le Parlement, absous par le sentiment populaire, Lacuzon reprit le commandement de son château de Saint-Laurent-la-Roche. Le 2 décembre 1659, il devait le trouver en piteux état ( voir la suite de l'histoire dans les combats de Lacuzon)

D'autres procès pour Lacuzon :

1661 :  Lacuzon avait réussi à retrouver les quelques habitants du village de St-Laurent, qui avaient profité de son absence pour cause d'emprisonnement, pour lui voler tous ses meubles. Il leur intenta un procès.

La même année, Lacuzon eut un conflit avec les habitants de Montaigu qui le craignaient mais ne l'aimaient sans doute guère. La commune avait des dettes ( hé oui déjà !!! voir l'histoire des dettes d'Orgelet au 17ème siècle sur le site : http://www.orgelet.com/  ) Le Parlement l'avait autorisée le 3 juin 1661 à établir pour 3 ans, une "seconde dîme" ( une surtaxe en quelque sorte !) sur tous les fruits et revenus appartenant aux habitants du village.

Lacuzon qui était le plus gros propriétaire, refusa énergiquement. Tous les autres avaient accepté. Au bout de 2 ans, en juillet 1663, les 2 échevins s'armèrent de courage et accompagnés de François Daguet, secrétaire de la commune, se rendirent chez Lacuzon.

"L'ayant requis de vouloir payer la dîme au taux indiqué par lui, dû de ses foins, ils les voulut payer à coup de branches de bois, et refusa ladite dîme en criant : "Mort Dieu, attendez, je vous la donnerai, la dîme !" Heureusement, Pierre Pauthier, vicaire de Montaigu qui se trouvait là, empêcha le bouillant capitaine de se livrer à des brutalités inopportunes. Cependant en sortant après cette algarade, Lacuzon se retrouva dans la rue nez à nez avec le secrétaire Daguet, lequel était impotent et se servait de cannes pour marcher. Il le prit par le collet, lui disant "C'est toi qui demande les dîmes ?" et le jeta violemment à terre, mêlant dans les actes plusieurs jurements" ( jurons )

Les habitants furieux, portèrent plainte et pendant qu'ils y étaient, réveillèrent la vieille affaire du clocher de l'église de Montaigu dont Lacuzon avait utilisé les pierres pour construire sa maison.

juillet 1663 : La communauté de Montaigu fait un procès à Lacuzon suite à la démolition de l'église et d'autres édifices du bourg pour construire sa maison, mais comment lui faire porter "l'exploit" par un huissier ? Aucun n'accepta tant ils redoutaient ledit sieur Lacuzon. Il fallut un arrêt de la Cour pour les y obliger sous peine d'être dépossédé de leur office.

1664 : A la fin, la Cour le 6 septembre 1664 ordonna une enquête. Elle fut confiée à Claude Boyvin, (fils de Jean Boyvin ) beau-frère de Claude Balland gendre et lieutenant de Lacuzon. Inutile de dire que l'on était là en famille et que le capitaine n'avait pas grand chose à redouter.

Les gens de Montaigu finirent par comprendre qu'ils ne devaient pas s'obstiner; Lacuzon accepta un arbitrage qui lui fut avantageux et les esprits se calmèrent.

Sources :

Robert Fonville :" Lacuzon, héros de l'indépendance Franc-Comtoise au XVIIème siècle" paru en 1955 - Louis Lautrey : "Vie du capitaine La Cuson". Paris 1913 - Librairie ancienne H. Champion - Le XVIIe siècle à Orgelet ( Jura - France ) : un siècle de malheurs en Franche-Comté  : http://www.orgelet.com/connaitre-orgelet/histoire/xviie-siecle-un-siecle-de-malheurs-1-13.htm

©   Roland Le Corff page créée le 17/10/2002 - version du 10/03/2021